L’innovation des éliminatoires couplées a fait long feu. Pourtant elle avait ses avantages. Mais il y a des raisons plus fortes qui ont fini par refroidir cette piste. Décryptage.
Réuni ce 10 juin 2018 à Moscou en marge du Congrès de la Fifa, prévu trois jours, plus tard, le Comité Exécutif de la Caf, avait lâché une résolution qui est passée sans véritablement attirer l’attention, mais qui venait enterrer définitivement le modèle des éliminatoires couplées, expérimenté en 2006 et 2010 en Afrique.
Pourquoi la Caf s’était donc précipitée à publier toute une résolution pour une actualité qui n’en était plus une, puisque la dernière expérience datait de 2010, et la Can passée les années impaires, ne coïncidaient plus avec la Coupe du monde ? Qu’est-ce qui a donc piqué l’instance faitière du football africain pour la remettre au gout du jour ? Cette résolution de son Comité Exécutif stipulait :
« Les éliminatoires de la Coupe du monde 2022 et de la Can Total, Côte d’Ivoire 2021 ne seront pas couplées ».
Hallucinant non ? Pas vraiment à bien y regarder. Le bouleversement du calendrier de la Coupe du monde au Qatar, imposait une révision de tous les calendriers, question de les alléger. Il y avait donc la pression de revoir le calendrier africain, d’abord parce que contrairement à d’autres compétitions comme l’Euro, la Can se joue tous les deux ans, ensuite parce que à l’époque où l’initiative des éliminatoires couplées avait été prise, la Fifa évoquait comme raison principale, la surutilisation des footballeurs africains, qui agaçait les
grands clubs européens. En couplant les éliminatoires, on allégeait leur agenda.
Le Comité Exécutif de la Caf, voulait être on ne peut plus clair, sur l’impossibilité désormais actée des deux éliminatoires, pour des raisons éloignées des pelouses et plus économiques.
Pour mieux comprendre, il faudrait savoir que désormais, plus il y a des
matches, plus il y a des droits de retransmissions.
Et contrairement à l’argument souvent avancé pour justifier l’augmentation du nombre de
participants aux compétitions comme la Can, argument d’ouverture aux petites nations pour permettre à plus de d’équipe de participer à la fête, la raison est plus économique. Une Can à vingt et quatre, rapportera forcément plus en termes de droits de retransmissions qu’une Can à seize. Faire donc les éliminatoires séparées, augmente le nombre de matches, donc la valeur des droits.
Et l’augmentation des enveloppes aux lauréats de la Can de façon vertigineuse Chaque Can depuis 2017, est une preuve suffisante de l’augmentation des revenus, liés au nombre de matches qui augmente inlassablement. Le Vainqueur de la Can 2017 avait touché quatre millions de dollars, très loin des un million et demi de dollars des vainqueurs de 2012 ; 2013 et 2015. Une différence de trois millions presque, qui ne peut juste pas être lié à l’augmentation des partenaires, mais à la multiplication des droits et des matches.
Ce n’est non plus un hasard, si c’est le 20 juillet 2017, que la Caf annonce sa série de révolution sur le nombre de participants, de seize à vingt et quatre, et la décision de jouer la Can en juin, même sui elle n’aura survécu que sur une édition.
Il devenait donc impossible pour la Caf d’avoir de vraies recettes et de continuer à coupler des éliminatoires avec celles de la Coupe du monde et le mastodonte Fifa, gourmand avec ses partenaires exclusifs, qui brouillent totalement la visibilité des partenaires de la Caf. Orange qui avait signé avec la Caf en 2008 pour le namming de la Caf, ne peut pas clairement dire qu’elle a eu la visibilité avec le couplage des éliminatoires, la Fifa ayant par
exemple dealé pour la Coupe du monde 2010 avec MTN, son principal concurrent sur le continent. La Caf n’avait plus beaucoup de choix, que de prononcer ce divorce économique. Lorsque les éliminatoires étaient couplées, l’enveloppe du vainqueur de la Can est restée à un million d’euros ou presque, jusqu’en 2015.
En passant à Vingt quatre dès la Can 2019, la Caf ouvrait aussi un boulevard de
communication à Total Energies, dont l’idylle a été bouclé en 2016.
Elle ne peut plus se permettre de lui donner de l’ombre en couplant les éliminatoires.
Regardez à quelle vitesse l’enveloppe des vainqueurs de la Can a augmenté. Si en 2019, la hausse n’était pas très forte, l’enveloppe tournant autour de quatre millions de dollars, elle est passée à cinq millions de dollars en 2022 au Cameroun, et sept millions de dollars en 2024 en Cote d’Ivoire. Parce qu’il y a plus de rentrées sur les droits de retransmission avec un nombre de matches en progression. La Caf se frotte les mains, et l’hypothèse de coupler les éliminatoires lui fera perdre de l’argent. Elle ne peut donc plus être envisagée.
Pourtant sur un plan purement sportif, l’argument de la surutilisation des joueurs et les grincements des dents des clubs européens, pour coupler les éliminatoires tient toujours.
Pire encore, l’instabilité de la Can renforcée par le Covid 19, renforce la nécessité de diminuer les mouvements, à cheval entre les années paire et impaires. Remarquez qu’à peine les championnats européens vont reprendre, les joueurs africains devront revenir au continent pour les éliminatoires de la Can. Dans le même temps, leurs homologues européens sortant de l’Euro, n’auront pas la pression d’un calendrier autre que la préparation de la Coupe du monde. Les clubs vont continuer à grincer les dents. Les enjeux économiques vont étouffer proprement leurs cris.
Martin Camus MIMB